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07 août 2015

Phases

Dessin de Trisha Brown

Si « toréer » est un art, cet art-là est des plus singuliers. Il n’en résulte aucun objet comme la peinture, la photo ou la sculpture, ni une  trace qui aide à la reproduction, comme une partition musicale ou les symboles chorégraphiques, ni un support à l’actualisation de l’œuvre, comme le film ou le livre. Certes, il existe des musiques non écrites, des danses non chorégraphiées, des œuvres graphiques non fixées sur un support… mais rien n’empêcherait qu’elles le soient, à priori ou à postériori. Mais si le toreo s’apparente à ces arts de l’improvisation, de l’éphémère, il a sa particularité qui l’éloigne de ces arts de l’instant.



Le toreo est un processus. Un processus vers une idée, une notion, une image conçue et non décrite, informelle et interne, probablement collective. Une modification, une transformation ou transmutation. Une pédagogie. 20 minutes pour changer une bête innocente et violente en une créature coupable et soumise. 10 minutes pour conquérir le droit de la mettre à mort. Ce processus se fragmente en séquences indépendantes et interactives, où le geste technique rendu efficient par son esthétique et esthétique par son efficience, acquiert, par la volonté du torero,  une charge émotive d’ordre artistique et indirectement éthique.

                                            Anne Teresa de Keersmaeker -Fase-

Ce processus, par définition, est constitué d’un enchaînement d’actions-conséquences dont la pertinence et la qualité sont systématiquement remises en cause par l’action et les séquences suivantes. C’est un phénomène à jugement rétroactif. Une passe est bonne si la passe suivante est bonne ou peut être bonne. Il en est de même pour les séries de passes. Il en est de même pour l’enchaînement des tercios.


                 Alfred Eisenstaedt - Enfants au spectacle de marionnettes - Paris 1963 

Le toreo est un art dans le futur. Non de la chose faite, non de la chose en train de se faire, mais de la chose qui va se faire. Il est un art de l’angoisse. Bien sûr de l’angoisse de l’accident, (mais cela ne lui est pas propre) mais surtout de l’angoisse des choix, l’angoisse de leurs conséquences, de la bonne réalisation du geste suivant, de la solitude en face de deux sources d’exigences : le toro et le public. « Comment va-t-il réagir ? Comment vont-ils réagir ? ». L’art du « pourvu que.. », tant pour le torero que pour le spectateur, pendant le déroulement de la corrida, mais aussi pendant toute une vie d’aficionado ou de torero. Prier.



On comprend donc l’addiction des taurins pour la fixité des images, des photos, des objets, des reliques, des souvenirs. Art rétrospectif et prospectif à la fois, le toreo est sans cesse en décalage avec le moment présent


William Eggleston

Il est aussi un art du regret, par voie de conséquence.
La tranquillité n’est décidément pas un état d’âme de taurin.




12 juillet 2015

De la nécessité des choses nécessaires

Ryan McGinley


Il faut, comme souvent, revenir aux éléments de base, pour essayer de comprendre un peu. C’est la mort du toro qui est l’acte fondateur de la corrida, la mort mise en scène, célébrée et glorieuse. Non pas une mise à mort commandée par des arrière-pensées, la vengeance, la peur ou la jouissance, mais une mort fatale qui peut puiser ses fondements dans des rites antiques et mythologiques ou plus prosaïquement dans les impératifs économiques de l’élevage de bétail pour la boucherie. Une mort simple. Le poulet est abattu à 40 jours, la dinde à 100 jours ; le toro, lui, entre 48 et 72 mois.


Rembrandt
Le toro n’a pas besoin de justifier sa mort : elle est inscrite dans son être-toro, tout comme le torero n’a pas à justifier son acte de metteur à mort : elle fait partie de son « être torero ». Aucun torero ne devient matador pour se venger d’un toro qui l’aurait renversé dans un chemin dans la campagne, ou parce que le plaisir d’enfoncer une épée dans un corps de bovin dépasse toutes ses lois morales…


Antoñete
Et puis il y a le jour de la corrida, le public, l’arène, la rencontre, l’affrontement de deux être vivants qui n’ont aucune raison pour obéir à leur fonction théorique, mais qui sont soumis aux aléas des sentiments, des humeurs, des passions. La corrida est une succession d’événements, de mises en situation de rapports de force qui constituent une dramaturgie, une histoire, une diégétique. Les acteurs se distribuent les rôles du gentil, du traitre, de la brute, de l’innocent, du menaçant, de la victime, organisant ainsi une suite d’actes chronologiques en un scénario logique (le fameux « post hoc, ergo propter hoc » des latins : après ceci, donc à cause de ceci) dont l’aboutissement, la conclusion acceptable et acceptée est la mort du toro. Il faut donc que cette mort apparaisse, aux yeux des spectateurs, comme normale, logique, bienvenue, et non saugrenue, anormale et révoltante.


Goya
Il est difficile de concevoir une mise à mort autrement que comme une condamnation à mort. Si celle-ci apparaît comme un fait sans lien avec ce qui précède, comme un acte plaqué, infligé à une créature, sans justification morale, cette mort devient dérangeante. Dans la tauromachie ancienne, celle d’avant le grand virage de l’imposition du caparaçon, cette justification était superflue : un coup d’œil aux cadavres des chevaux ou le souvenir de leurs entrailles pendantes montraient bien qu’on avait raison d’en finir avec cette dangereuse bête. De nos jours, la relation entre le comportement de l’animal et sa mise à mort est plus ambiguë. Ou le toro a manifesté peu d’entrain au combat, s’est révélé manso et nous l’estimons méprisable, donc condamnable ; ou le toro s’est montré retors, dangereux, sournois et sa mort sera un soulagement, pour le torero comme pour le public. Mais s’il appartient à cette nouvelle race de bovins créés à force de sélections génétiques, de programmes informatiques, s’il est cette synthèse rêvée de l’animal et du carreton, qui charge mais n’attaque pas, qui autorise toutes les fantaisies créatrices des toreros, qui humilie, qui a de la classe, du recorrido, de la noblesse etc. (le toro qui collabore : c’est ainsi qu’on le définit), alors le moment de sa mise à mort provoque le malaise. Qu’a-t-il fait de mal ? peut-on demander. Non seulement il n’a mis personne en danger, mais il s’est comporté de la manière que souhaitent tous les toreros et qui leur permet de faire étalage de leur talent.

Luis Fernández Noseret
Encore si le torero, à la manière d’un José Tomás, a su créer les situations dangereuses que le toro ne souhaitait pas provoquer, l’estocade paraîtra justifiée. Mais si l’on a affaire à l’un des dompteurs de fauves domestiques qui savent si bien écraser les pauvres velléités de révoltes de ces animaux, alors, la mort de la bête perd sa signification. Notre préoccupation, lorsqu’arrive la mise à mort, à nous, habitués des corridas ou aficionados, se porte tellement sur la bonne exécution de cette suerte et sur son efficacité, gage des récompenses, que nous en oublions (nous… moi, tout au moins) qu’il s’agit de tuer, d’en finir avec la vie d’une créature, et que cela ne va pas sans quelque gravité. Les indultos proviennent essentiellement de ce malaise que crée une mise à mort sans motif aux yeux d’un public qui réagit, à juste titre, au nom de principes que les passionnés et les professionnels mettent facilement de côté.

La composante « danger » n’est pas facultative dans la corrida. Et même s’il ne va pas aux courses de toros pour voir un homme jeté en offrande aux cornes de la brute, le grand public, celui qui remplit les gradins et les caisses des professionnels, celui qui crée les grands engouements pour les toreros et permet les heures fastes de la tauromachie, l’a bien compris et attend qu’on satisfasse son désir de frisson et d’admirations et qu’on n’oublie pas que la nature même de ce spectacle repose sur la présence en piste d’un homme fragile et d’une bête sauvage, celle-ci essayant d’encorner celui-là et ce dernier bernant l’autre avec élégance.



01 septembre 2014

Le chemin du Toreo

Pierre Soulages


Je viens de découvrir ce qu’est le Kyūdō et les explications que j’en ai lues m’ont conduit à faire le rapprochement avec le toreo et à me demander s’il n’y avait pas du Kyūdō dans le toreo.
Le Kyūdō… Le chemin de l’arc. C’est un des arts martiaux japonais, issu du tir à l’arc guerrier. Dans sa forme la plus pure, il est pratiqué comme un art dont l’objectif est le développement moral et spirituel de l’individu.

Le maître de Kyūdō,  Awa Kenzō photographié pendant la 4ème étape du tir : Uchiokoshi
Awa Kenzō fut le maître du philosophe allemand Eugen Herrigel (1884-1955), auteur de l'essai "Le Zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc". Eugen Herrigel a vécu 5 ans au Japon, séjour au cours duquel il a étudié le Kyūdō.


La réussite du tir n’est pas fondamentale, elle n’est pas un but mais une conséquence de l’excellence du geste, de la maîtrise de la technique de tir, de la perfection de la posture corporelle. Il s’exécute selon une procédure très codifiée :

L’enracinement des pieds. L’affermissement de la posture. L’éveil de la vigilance. L’élévation de l'arc. L’extension répartie. L’union. La séparation. La persistance de l'esprit ou continuation du tir. L’abaissement de l'arc.

Mais il réclame aussi l’harmonisation de l’attitude mentale et émotionnelle. Le Maître O Uchi Senseï  explique :

« Quelque excellente que puisse être la posture de tir, si l’on devient oublieux de son cœur/esprit, on sombre dans la vulgaire technicité »

Et si cela était aussi valable pour le toreo ?

Photo extraite du documentaire One Shot One Life Bande Annonce

Le toreo, qui lui aussi réclame une perfection du geste  et des postures, sombre-t-il dans la vulgaire technicité s’il n’inclut pas le cœur/esprit dans son exécution ?

Peut-on exporter les principes du Kyūdō vers le toreo ? Auraient-ils quelques points communs qui permettent de réfléchir à l’un en analysant l’autre sans dire des extravagances ?

Observons au passage que la procédure pour effectuer le tir à l’arc ressemble étrangement à celle de l’exécution d’une passe de cape ou de muleta : enracinement des pieds, affermissement de la posture…

Fernando Cruz

Et également, que le Kyūdō est à la guerre ce que le toreo de salon est à la corrida. Ils sont l'un comme l'autre la version épurée, purifiée, sublimée, idéalisée de leur art, son essence. Ils ont pour vocation de devenir l’image de référence des arts qu’ils représentent et signifier vers quoi tendent ceux qui les pratiquent. 
A cet égard, si le toreo de salon de bon nombre de toreros repose sur des concepts voisins et des exécutions identiques (lenteur, tracé, tenue du corps…), les réalités de la piste, du public, du toro, des rivalités, provoquent un éclatement des façons de faire où l’on ne retrouve plus grand-chose de ce que l’on a répété devant la glace. 

José Tomás torée de salon

De la même manière, la théâtralité impeccable du geste de l’archer pratiquant le Kyūdō avait peu de chance de se reproduire sur le champ de bataille. Mais peu importe, l’un comme l’autre répètent en silence une gestuelle qui tend vers la perfection : l’enjeu étant de reproduire dans le combat réel la plus grande partie de ce qu’on a travaillé loin des regards.

Enfin, le torero n’est certainement pas étranger aux valeurs de l’archer du Kyūdō. L’opiniâtre  recherche du mouvement parfait, exact et esthétique, non seulement dans son tracé, mais parfait aussi par la disposition mentale lors de son exécution, qualités dont dépendent son efficacité. La victoire sur soi-même, plus importante que la victoire sur l’adversaire. La force de caractère, le respect de l’autre. L'harmonie, l'unité entre le lieu, le corps, l'esprit, l’arc et la cible (on aurait pu dire ‘la cape et le toro’). La sincérité et la courtoisie, la discipline, la modestie, l’amabilité, la maîtrise de soi, la pondération. Autant de qualités visées par l’archer et que devrait finir par procurer la pratique du toreo.

Chicuelo. Photo via Pepe Morata

Bon.
Ceci dit, comparaison n’est pas raison, comme dit l’adage.
Et puis la comparaison a ses limites dans la présence d’un élément fondamental et imprévisible, le toro, qui agit à sa guise et peut à tout instant bousculer, non seulement le torero mais aussi le bon ordre, les envies de belles postures que celui-ci tente de mettre en place. Au statisme de l’art de l’archer s’oppose le dynamisme de l’art du torero. Et dans l’absence, dans le Kyūdō,  d’une vertu primordiale dans le toreo, le courage. La dématérialisation de l’ennemi, devenu un disque de carton, a rendu inutile cette vertu. Mais cela n’est pas déterminant. Ce qui est intéressant dans ce rapprochement avec le Kyūdō, c’est la hiérarchie des priorités qu’il établit.

Antoñete

Bien sûr, le but du Kyūdō reste l’envoi de la flèche dans le blanc de la cible, comme dans le toreo la domination et la mise à mort du toro. (Disons bien « le toreo », qui correspond à l’activité spécifique du torero, et non « la corrida », qui englobe le destin du toro, le rôle du public et la fonction du matador.) Mais les qualités de l’action pour y parvenir pourraient devenir plus riches que son résultat.

D’abord, la précision, la justesse, la maîtrise des gestes ; savoirs, jugement, analyses...  On songe aux toreros compétents, aux ingénieurs en tauromachie, tournés vers le toro.


Miguel Angel Perera. Photo de Juan Pelegrín

Ensuite, la beauté, l’harmonie, l’élégance des mouvements ; inventivité, originalité, présence, occupation séduisante de l’espace... Les toreros stylistes, les artistes, soucieux aussi du regard du public.

Morante, Bilbao 2014. Photo ABC

Enfin, le cœur/esprit.  L’intensité mentale, les motivations, les forces internes qui poussent lors de l’action tauromachique, courage, dignité ; la pureté de cœur, la nature des relations que le torero entretient avec lui-même, avec l’extérieur, les autres toreros, le public, mais surtout avec le toro, respect, écartant tout bas sentiment, vengeance, vanité, revanche, orgueil. L’élévation de l’âme.. Quelques maîtres, mystiques du toreo, absorbés dans leur intériorité.

Joselito "Arroyo"

Cumuler ces trois facettes et l’art du toreo tend alors vers son abstraction, vers son immatérialité. Le toro devient une image, une allégorie, probablement celle de la mort, tout comme la cible de papier figure l’ennemi de l’archer. Les acteurs se dématérialisent. Le corps, et donc la douleur, disparaissent. La rencontre du torero et du toro,  leur affrontement, perdent leur réalité matérielle et deviennent récit, fable, dès leur accomplissement. Tout ce qui est bassement humain, la technique, les recours,  la prudence, la peur, sont occultés ou repoussés.
Vérité, pureté, vertu, beauté...
Le toreo comme poème.
« Ici tout n’est qu’ordre et beauté… » dirait Beaudelaire.
Il faudrait que je réfléchisse à tout ça...


José Tomás

04 août 2014

Le discours indirect

"La cérémonie du thé est un culte basé sur l'adoration du beau parmi les vulgarités de l''existence quotidienne. Il inspire à ses fidèles la pureté et l'harmonie..." Kazuko Okakura - Le Livre du Thé.

"La ceremonia del té es un culto basado en la adoración de la belleza, tan difícil de hallar entre las vulgaridades de la trivial existencia cotidiana. Lleva a sus fieles a la inspiración de la pureza y la armonía..." Kazuko Okakura - El Libro del Té.

Il y a, dans l'exécution d'une passe de muleta de multiples aspects qui méritent attention, analyse, appréciation :
- les choix techniques en fonction des conditions de l'animal : tous les éléments requis pour que cette passe soit exécutée correctement et obtienne le résultat souhaité (distance, hauteur, cite toque etc.)
- la qualité de la réalisation : de l'absence d'erreurs techniques à l'élégance, voire à l'art de l'exécution.
- et puis le discours, le dialogue que le torero établit avec le public et avec le toro, qui se traduit par tous les gestes annexes à l’acte même du toreo, mais qui sont tout de même capitaux : les desplantes, regards au public, façon de se déplacer, gestes, qui en disent long sur la personnalité du torero et sur la relation qu’il établit avec le toro.

Hay, en la ejecución de un pase de muleta múltiples aspectos que requieren atención,  análisis,  evaluación:
- Las opciones técnicas en función de las condiciones del animal : todos los elementos necesarios para este paso se ejecute correctamente y obtener el resultado deseado (distancia, altura, cites, toque, etc.)
- La calidad de la realización: desde la ausencia de errores técnicos hasta la elegancia, incluso el arte.  
- Y luego el discurso, el diálogo que establece el torero con el público y con el toro, que se expresa con todas las acciones anexas al mismo acto del toreo, pero siguen siendo capital: desplantes, miradas al público , maneras de moverse, gestos, que dicen mucho acerca de la personalidad del torero y la relación que establece con el toro. 

El Yiyo

S’il est des manières dignes, il en est d’insupportables, à mes yeux tout au moins. Cabotinage vulgaire souvent encouragé hélas  par le public, desplantes sans signification, gestes théâtraux,  mimiques, regards au public, sourires ou ricanement,  bravades outrancières, fanfaronnades, parades.

Si algunas son maneras dignas, otras son  insoportables para mí por lo menos. Histrionismo vulgar, desplantes sin sentido, gestos teatrales, muecas diversas, miradas al público, sonrisas burlonas, bravuconería exagerada, bravatas…

Le Capitan - Gravure de Abraham Bosse

On peut espérer que des toreros se laissent aller à ces pratiques parce qu’elles appartiennent à la tradition, au répertoire de la ‘torería ; mais certains les adoptent  parce qu’elles correspondent à leur personnalité d’homme public. Ils  dévoilent ainsi une médiocrité,  un fond de pensées et de sentiments passablement détestables : la vanité, la satisfaction de soi, le triomphalisme, l’envie grotesque de parader.

Se espera que ciertos toreros se dedican a estas prácticas, porque pertenecen a la tradición, el repertorio de la  'torería' ; pero algunos de ellos las adoptan porque coinciden con su personalidad como hombre público. De este modo, revelan una mediocridad, un fondo de pensamientos y sentimientos bastante desagradables : la vanidad, la autosatisfacción, el triunfalismo, los deseos grotescos de  lucirse.

Desplante de Reverte (Lámina de La Lidia du 25 mai 1896)

Plus graves, celles qui concernent le toro : la volonté d’humilier, le mépris (il existe même une passe qui porte ce nom), la moquerie… et qui révèlent leur conception de la tauromachie, dans laquelle le toro n’est qu’une chose, un matériau  au service de leur gloriole.
Le torero qui marque de la condescendance envers le toro me semble peu respectable. Un torero qui a atteint la fonction de matador de toro et n'a toujours pas analysé en profondeur la nature de sa rencontre avec l'animal et compris le sens de cette rencontre, qui qu'il soit, quelque formidables que soient ses prestations,  commet un grave manquement envers les canons fondamentaux de la tauromachie: ton adversaire tu respecteras; avec dignité tu le traiteras ; son destin tu honoreras.

Más grave, las actitudes hacia el toro: el anhelo de humillar, el desprecio (incluso hay un pase que lleva este nombre !), la burla ... que  revelan su concepción del toreo, en el que el toro no es sino una cosa, un material para servir su vanidad.
El torero que marca condescendencia hacia el toro me parece poco respetable. Un torero que ha alcanzado la posición de matador de toros y no ha analizado en profundidad la realidad de su encuentro con el animal y entendido el significado de esta reunión, cualquier torero que es, figura o no, comete una violación grave a los cánones fundamentales de la tauromaquia: a tu oponente  respetarás; con dignidad le tratarás: su destino honrarás.


Miguel Angel Perera triomphe à Madrid en 2014, lors de la corrida de Victoriano del Río.
Extrait de la chronique du critique Barquerito : 
"La faena fue, por cierto, de una seriedad mayúscula. De estar Perera metido con el toro y solo con él. Ni un gesto de más, ni un guiño al sol. Ni siquiera lo fue el brindis desde los medios, que fue como firmar un compromiso...."



01 novembre 2013

Le charme ou le frisson ?

Par Jack & Alexandre Coursier
Claire Morgan - Here is the End of All Things - 2011

Le statut du toro reste l’élément central, à mon idée, de la réflexion sur la tauromachie.
Le statut antérieur  à notre époque, celui du XIX siècle et du premier tiers du XX, était  commode à gérer. Le toro est alors considéré comme une bête malfaisante, violente et dangereuse, une sorte d’image du Mal, comme a pu l’être jusqu’à nos jours le requin, ou encore naguère le tigre. 


Les dents de la mer (Jaws) de Steven Spielberg (1975)

L’adoption du caparaçon devait changer ce statut quo (voir l’article La pique éternel retour). Il y avait quelque temps que ce glissement s’opérait, avec l’arrivée  de toreros aux connaissances et personnalités hors du commun, tels Joselito ou Belmonte pour citer les deux stars, qui avaient démontré qu’une relation nouvelle pouvait s’instaurer en piste entre l’homme et le toro, s’écartant du routinier « sauve-qui-peut » pratiqué par leurs prédécesseurs. Le premier par la sérénité, l’autre par le stoïcisme, ils avaient, en quelques années, ébranlé l’image du toro destructeur. 


Joselito attend la mort de son toro, 9 juin 1915 (Photo La Razón Incorpórea)

Les choses ne se font jamais du jour au lendemain, en tauromachie. Mais il a bien fallu, progressivement, sinon inventer tout au moins développer, structurer un signifiant latent dans le toreo, pour donner du sens à la corrida, à son déroulement, à sa finalité : la mort du toro. Malgré l’état de suspicion qui continuait à envelopper le toro, c’est le troisième tercio, et donc le torero, qui a endossé cette responsabilité...


Photo via Dominguillos

L’homme à la muleta devait relever le défi de justifier la mise à mort finale de l’animal
(Deux mots aux anti-corrida qui ne me liront pas : Est-ce que vous vous imaginez que nous ne posons pas constamment la question de la douleur et de la mort du toro et qu’elles ne sont pas au centre de notre démarche d’amoureux de la corrida. Quel aficionado l’a jamais écartée ! Croyez-vous que vos cerveaux médiocres ont perçu des aspects de la corrida que nous ignorerions, des dimensions morales qui nous échapperaient ? fin des deux mots). 
La blessure épargnée désormais au cheval, l’homme l’assuma, non comme un accident, non comme un événement obscène et révoltant, mais comme une composante indispensable de sa mission dans la piste. Si le toro n’est plus un assassin, il faut que le torero se mette à disposition de devenir sa victime.


Manolete, photo via Cordobanauta

Tout naturellement, le toro offert à ce toreo changeant a lui aussi évolué. D’anciennes vertus sont devenues obsolètes, des qualités nouvelles ont été réclamées. 
Et puis les connaissances du monde animal, des écosystèmes ont progressé. La notion d’animal mauvais disparaît,  même celle d’animaux nuisibles tend à s’estomper. Ainsi, le toro se retrouve innocenté, lavé de ses mises en péril dans les campagnes comme  dans les ruedos.  



De ce constat, deux orientations se dessinent : ce toro qui entre en piste, purifié, libéré des héritages sanglants et des légendes épouvantables, il va falloir que le torero mette en évidence son hypocrisie, son double-jeu, son danger latent ou révélé, ou bien sa vacuité, son inutilité pour le mettre à mort sans remords. Sinon, si les qualités s’imposent, si le jeu livré est conforme aux attentes, comme on ne châtie pas les innocents, c’est l’indulto qui  l’emporte. 
Ou bien, on redonne au toro sa dimension redoutable et terrifiante par un retour forcé à la pureté originelle. 



Notre époque est en quête d'authenticité, de vérités premières. On refuse les OGM, comme on récuse les toros dénaturés. On le fait donc repartir vers ses ancêtres... Et le toro repart vers ses ancêtres (supposés) : grand, farouche, puissant, intraitable... -On le piquerait plusieurs fois, il serait toujours indompté, jamais fatigué, il ferait peur. Une équipe de Thésée héroïques l’affronterait, on prierait pour eux, on serait angoissé, mais ils finiraient par gagner : que ce serait bon quand le monstre roulerait, vaincu, dans la poussière. Celui-là, pas question de l’indulter.


Thésée terrassant le Minotaure, Etienne-Jules Ramey,1821, jardin des Tuileries, Paris


Il semblerait que, lassé des sophistications, des délicatesses, des civilités, un public dominant  recherche des rudesses, des brusqueries, des sévérités. Tauromachie courtoise, tauromachie épique …
Una media éternelle ou un puyazo en todo lo alto? Morante ou Sandoval? Qui sera le héros des temps nouveaux?

Media Veronica de Morante de la Puebla

12 octobre 2013

Indulter, ne pas indulter, that is the question

Lorenzo Papace - Extrait de Observations, constats, analyses, diagnostics, déductions, rapports, hypothèses et conclusions


On indulte beaucoup, ces derniers temps, et cela fait jaser, discuter, s’indigner... Les blogs sont remplis de textes sur ce sujet. Aussi je vais à mon tour me lancer dans cette mêlée, pour mettre au clair mes idées confuses sur ce thème.




L’indulto était, il y a quelques dizaines d’années, totalement exceptionnel, et beaucoup de bons aficionados n’en avaient jamais vu. Les conditions étaient très restrictives, jusqu’à ce que la possibilité de procéder à cet acte soit étendue quasiment à tous les spectacles taurins, où qu’ils se déroulent, grâce au nouveau règlement andalou de 2006 qui entérinait un mouvement favorable à l’indulto né dans les années 90. On a donc vu indulter des toros que les aficionados rigoureux n’auraient jamais graciés. Ils ont mis en avant que ces toros avaient accompli des tercios de vara plutôt anodins, qu’ils manquaient de caste, ou de prestance, alors que le but de l’indulto étant de sauver des animaux d’exception en vue de la reproduction, on ne peut tolérer des insuffisances. Et cela est vrai.
Certes.
                               Toro mourant, Nîmes 1960 - Photo de Lucien Clergue

Qui indulte ? Comme pour les autres récompenses, c’est le président qui, in fine, sort le mouchoir orange. In fine, parce que cet événement intervient après une procédure très informelle, initiée le plus souvent par le public, de façon fragmentée, sporadique au début, puis plus insistante et ample, si bien que s’engage alors un échange par gestes entre le torero, le président et l’éleveur, s’il est présent et repérable dans l’assistance. Le président sort ou ne sort pas le mouchoir orange, mais celui qui a entamé le mouvement est bien le public. Lorsque celui-ci reste passif, rien ne se passe. Le public a un rôle majeur dans le déroulement de la corrida et il s’est emparé, légitimement, de cette prérogative. Et si sa demande est forte, il se sent en droit d’être pris en considération. Il se passe, en faveur du toro, ce qui se passe en faveur du torero avec l’octroi de l’oreille.





Bien sûr, le public peut se tromper. Et en quoi consiste l’erreur ? A demander la grâce d’un toro imparfait. Ah ! Et, qu’est-ce qu’un toro imparfait ? Qui décide qu’un toro est imparfait ? Nous sommes en plein dans un domaine où s’affrontent l’absolu et le relatif. Et nous nous heurtons à deux obstacles : existe-t-il un toro parfait ? Probablement pas. Alors, quelle qualité doit être privilégiée : bravoure physique, mentale, noblesse, caste, puissance, beauté... : chaque juré a ses préférences, ses critères, et il est impossible d’établir une liste unanimement admise des niveaux requis pour un indulto indiscutable.
Par ailleurs, le toro indulté n’a pas pour destin d’entrer dans un Panthéon des toros de légende, mais de participer, avec d’autres reproducteurs, au fonctionnement d’une ganaderia. C’est bien évidemment l’éleveur qui est le juge absolu et indiscutable des qualités attendues pour que son toro soit admis à cette fonction. Par définition, tout toro reproducteur est un toro indulté, dans l’arène ou en tienta. Que savons-nous du degré de qualité qu’exige tel éleveur pour sélectionner ses reproducteurs ? Que savons-nous des qualités des autres reproducteurs de la ganaderia ? des complémentarités souhaitées avec les caractéristiques des vaches ?


Tienta de machos chez Parladé

Combien de toros que personne ne songe à indulter combleraient les attentes des éleveurs, soit parce qu’il serait meilleur que ses reproducteurs actuels, soit parce que ses qualités sont précisément celles qu’il recherche ! Il n’y a donc pas grand risque à indulter indûment un toro : l’éleveur saura juger mieux que quiconque si cet animal lui convient.
Il peut d’ailleurs sembler surprenant qu’un éleveur n’ait pas repéré cet animal comme possible reproducteur et effectué les tests de sélection. Une fois la fierté de voir son toro gracié, le ganadero et son mayoral devraient s’interroger...
Indulto de Arrojado de Nuñez del Cuvillo

Bien sûr, il peut être risqué de désigner comme grandiose un toro qui est loin de l’être et cela pourrait bien inciter l’éleveur peu scrupuleux à se dire : « Si c’est ce genre de toro qui les enchante, je n’ai pas de raison de chercher à faire mieux ou à rechercher des qualités qu’ils sont incapables de percevoir. » Le même risque est couru lorsqu’on acclame et récompense un torero qui n’a pourtant pas été formidable. Il en fut de tout temps ainsi. La corrida suivante et un autre public remettront les choses en place. Les grands ganaderos, les toreros sincères savent avant tout le monde la valeur de ce qu’ils ont fait et ne se laissent pas berner par des compliments flatteurs.
(Une parenthèse : on flatte beaucoup dans l’entourage des acteurs de la corrida, beaucoup trop).



Apprenez que tout flatteuVit aux dépens de celui qui l'écoute - La Fontaine


Revenons au Président. Car c’est bien lui qui a le dernier mot. S’il estime que le toro ne mérite pas l’indulto, qu’il tienne bon. Encore faut-il qu’il soit compétent, plus que la moyenne du public ; et qu’il soit intègre, repoussant l’éventuelle pression de ceux qui l’ont mis là, des organisateurs, par exemple. Car il est gratifiant pour une arène qu’un indulto y soit accordé. Ou encore la pression du callejon, quand il est rempli de gens fameux et influents. Et d’un autre côté, qu’il ne soit pas sous la pression des « anti-indulto », ces plus purs que pur, plus blancs que blanc, ces orthodoxes intègres et grognons que rien ne satisfait et qui terrorisent  le menu peuple amateur de tauromachie généreuse. Et même s’il ne montre pas de faiblesse de caractère, comment peut-il être sûr de ne pas se tromper en refusant la grâce ? Il se retrouve un peu dans la terrible situation des Chefs d’Etats disposant du droit de grâce pour les condamnés à mort. Quelle erreur est la plus grave : gracier un toro médiocre ou faire tuer un toro sensationnel ?



Voilà ce que devient le débat depuis l’introduction de l’indulto comme fin possible d’une faena. Il existe désormais une alternative : mort ou survie du toro.
En fait, ce qui est dérangeant dans l’indulto, ce n’est pas son application, c’est son existence. Tant qu’il était marginal et compliqué à mettre en oeuvre, l’indulto n’existait pas dans l’esprit du spectateur de corrida. Dès lors que celui-ci sait qu’il possède le droit de le réclamer, qu’il en connaît la procédure et qu’il se l’est appropriée, il en use, légitimement. Pourquoi l’option de l’indulto a-t-elle fini par émerger ? Peut-être parce qu’est apparu un type de toro  collaborateur infatigable, parfait partenaire, généreux, gentil, à tel point que sa mort a paru bien injuste.
Le juste, l’injuste ; le bien, le mal...

Goya

Et c’est toute la signification de la corrida qui est remise en question.
Elle n’est plus la célébration  grandiose de la mort du toro, dont les vertus servaient de justificatif à toute la mise en scène qui était faite pour cet événement. Elle devient un examen, où la mort  sanctionne les insuffisances du candidat, et l’indulto, la réussite à l’épreuve. La mort du toro est alors un châtiment, une punition suprême. Auparavant, l’indulto suivait le jugement : Trop bon pour mourir. Il se pourrait que la mise à mort finisse par signifier : pas assez bon pour survivre.



Henry de Montherlant

En quête d’une justification, la corrida abandonne peut-être la piste de l’acte sacré, pour se muer en une session du tribunal qui désigne les bons et les méchants, un procès où le torero serait l’avocat du toro si ce dernier s’est bien comporté, où son procureur s’il n’est pas estimé satisfaisant.
Il est possible que tel soit l’avenir de la corrida. Notre société s’accommode mal du caractère inéluctable de la mort ; on a tant trouvé de parades à des événements qui semblaient fatals, inexplicables, inexorables, que le spectacle de la marche impitoyable du destin lui est devenu irritant. « Yes you can ! » dit la foule nouvelle au toro.
Est-ce bien, est-ce mal ? Ceux qui auront connu la corrida d’avant, diront que c’était mieux, les autres...
Ou peut-être l’indulto n’est qu’une mode passagère, comme celle d’accorder la patte en plus des deux oreilles et la queue dans les années 60.
Qui vivra verra...


José Tomás - Nîmes