24 octobre 2012

Quelques mots sur le caparaçon


Hokusai, La Grande Vague

1928, les chevaux sont dotés d’un caparaçon, et... tout change.

Oh, le déroulement de la corrida n’est en rien modifié par cette protection qui ne vise qu’à économiser les chevaux et à rendre plus convenable le spectacle du tercio de pique...
Mais en fait, c’est toute la signification de la corrida qui en sort transformée.

Jusqu’à cette date, le rapport entre l’homme et l’animal était bien établi, conforme à la mentalité de ces temps, et systématiquement re-exprimé : le toro est un animal violent et dangereux, en témoignent les chevaux éventrés et leurs cadavres qui jonchent le sable des arènes. Car le tercio de pique est le grand moment qui légitime la corrida : les assauts du toro servent à démontrer sa violence. Le cheval est sacrifié pour justifier le statut d’ennemi du toro. La pique est là seulement comme arme de défense ; qu’elle amoindrisse la puissance du toro n’est qu’une conséquence et non un but. Il convient donc d’éliminer cette créature malfaisante, comme on le fait pour le loup ou en d’autres lieux le lion ou le requin. 

 Puyazo, 1890, Photo tirée du livre Del Toreo a la Bravura de Juan Pedro Domecq

Se charger de cette besogne, c’est assumer symboliquement une fonction sociale de défense du groupe. Et celui qui ose descendre dans la piste où règne le monstre, s’en approcher, le défier en se  jouant de lui avec des leurres dérisoires, et enfin le tuer, affirme son courage et se distingue comme héros parmi les membres du groupe : 

«  C’est la fête du courage,
Le cirque est plein de sang… »

dit le Chant du Toréador dans Carmen de Bizet.


Le principe de la corrida est un défi, lancé implicitement par le ganadero : 
«Quel est le vaillant, le téméraire qui osera affronter mes toros, les plus terribles, les plus effrayants d’Espagne ? » 

Et le peto arriva…

Puyazo de Francisco Sebastián, con peto, 1930
Photo tirée du livre Del Toreo a la Bravura de Juan Pedro Domecq
 
Cela faisait quelque temps que les choses changeaient dans la corrida. Joselito, Belmonte, les mœurs et les désirs du public avaient orienté la course de toros vers autre chose qu’un brutal corps à cornes animal. 

 Los maestros de los maestros, Joselito el Gallo, y Juan Belmonte,
Photo tirée de l'indispensable blog, La Razón Incorpórea

Avec le caparaçon, le cheval cesse d’être la victime justificatrice. Le toro n’est plus le tueur aveugle, le maudit dont la mort soulage. Alors, comment retrouver du sens à la corrida ? C’est  d’autant plus nécessaire, d’une part parce que la pique assume ouvertement son but, sa fonction d’amoindrir la force du toro ; d’autre part parce que le toro, n’ayant plus à jouer le rôle du monstre terrifiant, évolue, par le travail des ganaderos, vers une créature respectable, digne, voire exemplaire (in fine, le toro qu’on indulte). 

C’est le torero qui doit trouver ce nouveau sens ; et c’est donc la faena de muleta qui devient ce moment où se crée le sens, où il faut légitimer le coup d’épée final. Désormais, l’homme doit à la fois être digne et honnête envers le toro pour ne pas déchoir devant la bête,  dominateur pour assurer la fonction de créature supérieure, mais  suffisamment fou pour donner de façon chevaleresque au toro une chance pas trop restreinte de porter un coup de corne efficace.

José Tomás, Corrida historique, Nîmes, 2012
Photo, Nathallie Duverneuil

Le principe de la corrida n’est plus le défi, mais une invitation du ganadero :
« Quel honnête homme, quel savant,  quel artiste est digne d’un tête à tête avec mes toros, les plus héroïques et les plus généreux, les plus nobles d’Espagne ? »

 Francisco Galache, photo de André Viard, Terres Taurines, n°40


Note : Sur l'évolution du tercio de varas, voir la très complète étude : asotauro.com

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire